Ah!, obra total. Si alguien dijera que es la mejor obra cinematográfica de los 90, no habría por qué quitarle la razón...

Por cierto, la igualmente sublime novela de Elio Vittorini ("Conversación en Sicilia") está traducida en castellano y editada bellamente por "Gadir" Edición el año pasado.

"El matrimonio"
The censured novel Conversazione in Sicilia, by Elio Vittorini, published in four episodes in 1918/1939, is the basis for this account of a man returning to Sicily for a visit to his mother. This is a journey of initiation, "a voyage in fourth dimension through his infancy", he says. Not only to re-live words, people, places, sounds, sensation, and odor of his seven years, but mainly to understand himself. He re-encounters his mother whom he has not seen for 15 years, ever since she left for the North of Italy.
Through her, he attempts to glean answers to questions and facts that still trouble his memories, such as the image of his dead father. In this return, he also comes face to face with reality, corruption, and treachery, that differ from his memories as a child with a mother, lost between abstract fury and an awareness of his incapacity to comprehend the human condition.
NOS FILMS ONT TOUJOURS ETE DES FILMS SAUVAGES
interview par Jean-Michel Frodon
Le Monde 15.09.99.
Dans la grande banlieue de Rome, en haut d'un immeuble en briques, un deux-pièces abrite depuis plus de vingt ans le couple de francs-tireurs le plus audacieux du cinéma européen et leurs multiples animaux d'intérieur. C'est lui qui répond le plus longuement, c'est elle qui précise, corrige les inexactitudes, poursuivant durant l'entretien cette relation complémentaire qui caractérise leur œuvre.
- Comment êtes-vous passé du roman de Vittorini au film ?
Jean-Marie Straub : Tous les mots du film viennent du texte, mais les dialogues n'existent pas sous cette forme dans le roman. lis sont souvent en style indirect, ou entrecoupés de remarques psychologiques. Une fois des blocs de texte mis au jour, il faut chercher les nervures, les articulations selon lesquelles construire la mise en scène. Là sont les décisions esthétiques, donc politiques: il faut savoir de quel côté on est !
Danièle Huillet : Ce travail est d'abord effectué par Jean-Marie seul ; ensuite, je le critique, on discute. Durant la première phase, il cherche, il peine, à un moment il dit: "Je commence à voir quelque chose." Les gens disent: "Straub travaille avec les mots", c'est faux. Il cherche les images.
- Le film est donc précisément préparé à l'avance ?
J.-M. S. : Le découpage est entièrement écrit. Par exemple, la partie centrale du film, la rencontre avec la mère, se compose d'un prélude et de six mouvements, dont le dernier en trois parties; chaque mouvement est composé d'un nombre déterminé de plans, selon les exigences du texte. Ça, c'est une construction, un rythme.
- Vous observez des règles de mise en scène, une grammaire ?
J.-M. S. : Non, chaque film profite du précédent et tente d'évoluer ; on découvre, on développe, on change. En revanche, il y aune logique interne à chaque film : certains objectifs, certains cadrages ou certains mouvements sont nécessaires et d'autres exclus. Mettre un film en scène est comme jouer aux échecs: il faut anticiper le déroulement des opérations, sinon on finit dans des impasses.
- Pourquoi avez-vous d'abord monté Sicilia ! au théâtre ?
J.-M. S. : Nous avons profité d'une offre du théâtre de Buti, en Toscane. La pièce a été une méthode de préparation, comme nous avions répété Antigone à la Schaubühne avant de filmer à Ségeste. Les acteurs ont travaillé le texte pour la scène pendant deux mois et demi.
D. H. : Ce sont tous des non-professionnels. li est assez simple de faire jouer des amateurs au cinéma: on peut s'arrêter, recommencer, fragmenter les prises. Au théâtre, il faut qu'ils arrivent à tout jouer en continuité, l'épreuve est beaucoup plus exigeante. Lorsqu'ils sont montés sur scène, ils étaient prêts pour le film.
J.-M. S. : Certaines scènes ont été tournées dans des conditions très pénibles, en particulier celles du train, par une température caniculaire. Si le texte n'est pas entré dans le cœur, dans l'esprit, dans les nerfs et dans le sang, les comédiens ne pourront pas le dire.
- Travailler dans d'autres langues que votre langue maternelle n'est pas un problème ?
J.-M. S. : Au contraire, cela aide à éviter que les mots soient dévalués par une utilisation inconsciente, comme c'est souvent le cas dans sa propre langue. On entend très bien lorsque quelqu'un parle sans conscience et se laisse emporter par les facilités, par l'habitude: ce sont des clichés, c'est ce qu'il faut combattre. Mais cela exige un travail énorme, auquel la plupart des comédiens professionnels sont réticents - ils sont très paresseux. Qu'il s'agisse des regards, des positions, des sentiments ou du rythme, ils ne travaillent pas beaucoup. Résultat: ça flotte, c'est mou.
- Chacun de vos films donne l'impression d'une victoire in extremis, au point que l'arrivée d'un nouveau film semble chaque fois une bonne nouvelle inattendue.
J.-M. S. : Nous avons toujours travaillé comme si chaque film devait être le dernier, le dos au mur, mais on a toujours réussi à les réaliser tels qu'ils nous semblaient devoir être faits. Chronique d'Anna-Magdalena Bach a attendu dix ans - on nous proposait Curd Jurgens pour jouer Bach, un producteur allemand nous a même offert Karajan. Karajan! Nous voulions Gustav Leonhardt qui, à l'époque, n'avait enregistré que deux disques. Les milieux musicaux nous demandaient: "Qui est- ce ?"...
- Cela signifie-t-il que vous avez mis sur pied un système de production qui vous convient ?
J.-M. S. : Les financements, que Danièle s'épuise à réunir, sont toujours de bric et de broc. Nous faisons ce que nous voulons, mais nous en payons le prix, un prix de plus en plus élevé. Personne n'a jamais perdu d'argent à cause de nous mais pour la première fois, avec Du jour au lendemain et Sicilia !, nous avons des dettes. L'art est dévalué au profit de l'industrie culturelle fondée sur la célébration des morts et l'organisation d'événements.
- Il y a pourtant des aides au cinéma...
J.-M. S. : Nous n'avons jamais obtenu l'avance sur recettes. En 1977, j'ai demandé l'aide du directeur du CNC pour De la nuée à la résistance. ll m'a dit: "Je ne transmettrai pas votre demande. Vous voulez réaliser un film sauvage." C'est vrai, nos films ont toujours été des films sauvages. Récemment, Canal+ voulait acheter Du jour au lendemain pour une soirée sur l'opéra, le patron a dit : "Ce film ferait du tort à la chaîne." Refusé. Nous n'avons pas accès non plus aux financements européens, pourtant cela fait plus de trente ans qu'on travaille entre la France, l'Allemagne et l'Italie, il n'y a pas de cinéastes plus européens que nous.
- Vous êtes amers ?
D. H. : Non. Nous sommes des privilégiés. Nous avons fait vingt-deux films, en 16 ou en 35 mm, en couleur ou en noir et blanc, de sept minutes ou de deux heures quinze, toujours avec les sujets, les langues, les équipes, les interprètes et les lieux de tournage qu'on voulait. Mais on ne sait pas du tout si nous pourrons faire encore un autre film : les quelques alliés que nous avions dans des institutions s'en vont ou n'ont plus la possibilité de nous soutenir.
Propos recueillis par Jean-Michel Frodon
in Le Monde 15 septembre 1999
http://www.imdb.com/title/tt0200135/
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