
SourcePatrick Bokanowski est né en 1943. De 1962 à 1966, il suit des études de photographie, d'optique, de chimie, sous la direction de Henri Dimier, peintre et érudit, spécialiste des phénomènes optiques et des systèmes perspectifs. Les films animés de Jean Mutschler sont sa première vraie fenêtre sur le cinéma, et longtemps, l'animation demeurera pour lui un genre de prédilection en même temps qu'un terrain d'expérimentation privilégié. Les images qu'il filme, Patrick Bokanowski voudrait les rendre plus expressives, les formes plus fluides : il se met alors à collecter des bouts de verre, courbe, bullé, martelé et s'essaie à filmer au travers. Le résultat n'étant pas totalement probant, il fabrique des optiques aidé de spécialistes et s'intéresse aux surfaces réfléchissantes puis aux miroirs et aux bains de mercure, sortes de miroirs en mouvement. Sa technique des miroirs réfléchissants à travers lesquels il filme une réalité complètement distordue prend tout son sens dans "Au bord du lac". Ce film a nécessité pour sa réalisation, une savante disposition de près de quinze miroirs méticuleusement fabriqués et choisis parmi des dizaines d'échantillons de travail.
En trente ans, Patrick Bokanowski réalisera sept films, sans paroles, où la musique composée par sa femme Michèle, occupe une place prépondérante. Il expose également peintures, dessins et photographies. La réalité n'est pas toujours où l'on croît. Elle se dissimule. Dans les couches, les pliures, les respirations. Celles de la matière, comme de l'inconscient.
Patrick Bokanowski tente depuis 30 ans d'en saisir le mystère. À travers des films uniques, qui sont autant de machines à voir qu'à entendre le monde. Des films rares, 7 au total, admirés par un public d'initiés qui dépasse depuis longtemps les frontières de l'hexagone.
A 60 ans, ce maître paisible continue de brouiller les pistes entre peinture, photographie, prises de vues d'acteur, et cinéma d'animation, dans des fantasmagories complexes où la narration est absente.
" Un film traditionnel avec une intrigue, une trame, des personnages me plairait beaucoup, mais c'est comme si je n'avais toujours pas l'outil pour le faire, donc c'est comme si je mettais une chose avant l'autre. Je crois que je ne saurais jamais. Ce serait vouloir écrire un roman sans savoir écrire une phrase. Et je pense que je ne sais toujours pas écrire les phrases.
J'ai démarré avec des amis qui sont réalisateurs de dessins animés, par l'image-image. Donc je suis allé très pas à pas. Photographie, puis ensuite image-image, puis ensuite image mobile avec des caméras à manivelle ou des caméras très rudimentaires ou anciennes . "
Du goût de Patrick Bokanowski pour le dessin et la fluidité des formes, est venue la nécessité impérative de remettre en cause les lois classiques du cinéma, à commencer par le choix des optiques utilisées.
" J'ai travaillé avec des sténopés, avec des bouts de verre. J'ai travaillé avec des miroirs de toutes sortes, j'ai travaillé avec des surfaces liquides. "
" Picasso, qui était très lié avec le photographe Brassaï, lui disait : " Mais vous devriez prendre des bouts de verre, vous devriez travailler avec des bouts de verre ". "
Cette attention pour les optiques n'est pas le seul paramètre sur lequel Patrick Bokanowski cherche à intervenir. La construction des décors comme la modification de la chimie, sont autant de moyens de lutter contre une banalisation du réel.
Lutter contre le banal, c'est reconstruire le réel pour lui donner l'expressivité qui lui convient.
"Dans "La femme qui se poudre", ce monde d'objets fabriqués, c'était pour compenser les objectifs. C'est comme ça, je voulais les faire pour que ça ressemble effectivement à un dessin, un monde effectivement très loin du monde habituel. Moi, je le fabriquais, puisque je le fabriquais par morceaux, les pièces, les costumes, les perspectives, et j'avais vraiment le sentiment que c'était bien, que je montrais bien ce qu'est la vie quotidienne. "
L'expressivité chez Patrick Bokanowski laisse le champ libre à la musique composée par sa femme Michèle. Une musique qui s'accorde à ce point à ses films qu'elle en constitue un personnage à part entière.
" Mes films sont sans paroles. La parole était une chose tellement enrichissante, c'était trop, je n'avais pas envie de l'utiliser. La musique joue donc un rôle extrêmement important puisqu'il n'y a pas de dialogues. Elle prend donc une très très grande place. "
S'il est un but secret poursuivi par Patrick Bokanowski, c'est sans doute celui de donner une forme visuelle aux images inconscientes qui nous hantent et peuplent nos rêves. Une chimère qu'il semble approcher tant ses films nous saisissent au plus profond de nous-mêmes.
" Si l'image projetée était un déclencheur de l'imagination, c'est-à-dire qu'elle était… comme au lieu de montrer une lettre complète avec son ombre, vous ne montrez que l'ombre et vous voyez la lettre. Et si donc chacun projetait son imagination, je pense qu'on serait beaucoup plus forts et qu'on aurait des images qui touchent beaucoup plus, des images qui seraient proches de la nature, de celle du rêve. Je trouve ça une utopie excitante. "
À lire :
" Réflexions optiques ", par Patrick Bokanowski paru dans " Jeune, dure et pure ! ", Cinémathèque Française, Musée du cinéma, Mazzotta, 2001.
Extrait :
" Dans la chambre claire, puis lors des premiers enregistrements photographiques d'une image, la lumière passait au travers d'un trou (sténopé) et ensuite, plus récemment, au travers de bouts de verre, (les lentilles) qui accroissent la luminosité. Les qualités des lentilles ont été sans cesse perfectionnées pour réduire certains défauts choquants (courbure, halo, etc…).
À partir de ces perfectionnements, peu de pistes autres que ces bouts de verres associés ont été explorées, et l'on a considéré qu'ils captaient très bien le réel. On a voulu mettre au point une sorte de méthode scientifique imparable et objective susceptible d'être perfectionnée sans limites avec l'idée qu'à la fin, on arriverait à l'objectivité parfaite et totale de l'image. Les progrès depuis 1870 ont consisté à associer de mieux en mieux les lentilles, à faire de meilleurs calculs de leurs combinaisons, de leur composition chimique, etc., pour obtenir la même chose, sous-entendu (implicitement) une 'bonne image du réel ', du réel 'objectif ' et scientifique.
Mais existe-t-il une image scientifique réelle et objective du monde extérieur ? Si on pousse sa définition, on s'aperçoit qu'elle n'existe pas. Elle n'existe que pour certaines nécessités : on a besoin d'une image pour telle ou telle chose, on peut la perfectionner. "
Bye for now
